Les monnaies locales complémentaires - À quoi ça sert ?
Même si pas mal d'entre nous sommes heurtés par le fait d'être réduits à l'appellation de « consommateurs », il n'en reste pas moins que notre conditionnement culturel nous conduit souvent à nous comporter comme tel, autrement dit à chercher quelque chose déjà fait et éprouvé qui réponde à notre besoin immédiat. Force est de constater aussi que ce même conditionnement nous porte à considérer prioritairement l'intérêt personnel qu'on peut espérer tirer de ce qu'on nous propose. Or :
- Une MLC (monnaie locale complémentaire) n'est pas un bien de consommation, c'est une expérience humaine individuelle et collective qui tente d'apporter des réponses aux immenses défis humains et écologiques propres à notre siècle. Une expérience de transition socio-économique.
- L'intérêt personnel qu'on peut tirer de l'usage d'une monnaie locale est interdépendant de la prise en compte du bien commun.
À moins de nier les évidences, notre siècle s'ouvre sur un monde en crise. Crise politique, crise sociale, crise économique et monétaire, crise écologique... Cet ensemble de crises est identifié, reconnu; seuls les points de vue divergent quant aux causes et aux solutions possibles. Au risque de tomber dans la caricature disons que « l'establishment » met tout en œuvre pour sauver le « système d'avant » qui lui garantit son pouvoir et ses privilèges, quand les peuples aspirent au « changement » sans pour autant parvenir à le définir clairement. Les manifestations et révoltes populaires éclatent un peu partout dans le monde et, si elles clament haut et fort ce « qu'on ne veut plus » elles se désagrègent quand il convient de définir « ce qu'on veut ». Dans ce paysage le citoyen ordinaire se sent du coup bien démuni et impuissant devant l'ampleur des questions à résoudre. Toutefois, au cœur de ce joli chaos, s'activent de nombreuses personnes, regroupées au sein d'associations, de réseaux, de collectifs qui plantent des graines de transformation dans tous les domaines de la vie. Habitués que nous sommes à la démesure et l'immédiateté en tout, le côté souvent très « travail de fourmi anecdotique » fait qu'on peut croire que rien ne se passe. Et pourtant oui, le monde de demain est déjà en marche, les MCL y participent profondément. Sortir du sentiment d'impuissance et décider de faire partie des pionniers est probablement le premier intérêt qu'on peut y voir.
Maintenant d'une façon plus spécifique qu'est-ce que les MLC apportent ?
Sur le plan économique
- Le savez-vous, 97% des flux financiers mondiaux sont absorbés par la spéculation, véritable cancer de l'humanité. C'est dire que même si on a une « consommation responsable », tant qu'on utilise la monnaie officielle de son pays, on contribue malgré soi à alimenter une logique qui asservit l'humain et détruit la planète. Ainsi, le geste qui consiste à aller échanger une partie de notre revenu en monnaie locale devient un acte cohérent car cette fois c'est l'économie réelle de notre territoire qui va recevoir 100% de notre monnaie.
- Utiliser une monnaie locale qui par nature ne peut sortir du périmètre qui lui est assigné dynamise nécessairement la production et les échanges locaux.
- Dans la quasi-totalité des cas, les MLC sont adossées à une charte qui définit les valeurs et objectifs que les acteurs veulent favoriser. Cela conduit à ne pas se limiter à la redynamisation de l'économie locale, mais à lui donner du sens. De là découle une logique d'évolution dans l'éthique dont doivent faire preuve les prestataires professionnels.
- La masse monétaire est multipliée par deux. En effet la monnaie nationale confiée à l'association en échange de monnaie locale est placée en réserve sur un compte d'épargne éthique destinée à soutenir des projets, locaux si possible, correspondant aux valeurs affichées dans la charte. Cette épargne n'aurait pas existé si l'équivalent n'avait pas été émis sous forme de monnaie locale.
- Si les entreprises peuvent espérer grossir leur chiffre d'affaire, ce qui se constate à des degrés divers, des procédés sont souvent imaginés pour permettre aux particuliers d'avoir une amélioration de pouvoir d'achat et autres avantages lorsqu'ils utilisent la monnaie locale.
- La mondialisation a dangereusement fragilisé les territoires en les rendant dépendants d'approvisionnements lointains. Que la logistique se trouve désorganisée sous le coup d'une crise toujours possible et c'est la survie même qui peut être menacée. En renforçant la production locale on améliore la résilience territoriale.
- Nul doute que le fait d'être agréé dans le réseau de la monnaie locale donne au prestataire professionnel une image de marque positive, une sorte de label éthique qui ne peut que valoriser son entreprise.
Sur le plan écologique
- Une MLC, parce qu'elle est locale, favorise les circuits courts entrainant une diminution importante des distances parcourues par les marchandises; donc moins d'énergie et moins de pollution.
- Les valeurs affichées dans la charte sensibilisent et invitent tous les acteurs à adopter une attitude de plus en plus responsable à l'égard de ce qui est produit et consommé. C'est la possibilité offerte aux citoyens de reprendre le contrôle sur ce qui est produit et comment c'est produit.
- Les MLC ne cherchent pas à créer un club élitiste. Elles s'inscrivent dans une perspective de transition en offrant à chacun la possibilité d'évoluer dans ses pratiques et d'aller pas à pas vers un réel respect des équilibres essentiels à la vie. On est là dans une logique d'évolution et d'accompagnement.
Sur le plan social
- Utiliser une monnaie locale, c'est ré humaniser le quotidien. Quand on paye avec la monnaie nationale, le plus souvent on achète le prix. Au-delà du « combien ça coute » qui y a-t-il derrière? Même quand on se le demande, la réponse est souvent bien difficile à avoir.
- La monnaie locale, par sa différence visible est une sorte de « pense pas bête » qui oriente vers des personnes qui retrouvent un visage. Car le fait qu'elles acceptent la monnaie indique qu'elles ont signé la charte et qu'elles ont envie de faire le même voyage. Quand l'impersonnalité des monnaies officielles coupe les liens par le fait de laisser croire qu'une fois le paiement effectué, on ne se doit plus rien, l'intention de réhabilitation de ce qui respecte la vie sur laquelle sont ancrées les MLC donne à la monnaie valeur de reconnaissance de dette. Ensemble nous nous devons d'incarner notre rêve.
Sur le plan politique
- Inutile de se cacher derrière son petit doigt. Les MLC ne sont pas un outil dont la finalité serait de relancer la croissance locale dans la logique de la pensée ultralibérale épousée par la plupart des gouvernements dans le monde. C'est au contraire constater que cette idéologie est responsable des crises que nous vivons et qu'une transformation de nos systèmes et modes de vie est impérative si nous voulons transmettre à nos enfants un monde vivable plein de promesses.
- Souvent la mise en œuvre des monnaies locales sert aussi de prétexte à expérimenter des nouveaux moyens de gouvernance où on s'habitue, entre autre, à des modes de décision collégiaux et où on favorise la relation en réseau plutôt qu'obéissant à une structure pyramidale.
- Les MCL s'inscrivent dans l'écriture d'un nouveau paradigme où l'expérimentation et l'engagement priment sur le résultat immédiat. On est là dans le lancement des bases d'un nouveau projet de société, adapté aux défis vitaux de notre époque.
Sur le plan spirituel
Qu'est-ce donc que la spiritualité vient faire avec la monnaie? Elle s'y traduit dans le dénominateur commun qu'on appelle « richesse ». Or si nous rendons l'idéologie néo-libérale responsable des crises auxquelles nous sommes confrontés, c'est qu'elle a conduit à « financiariser » la vie. L'acte économique se justifie uniquement par le profit financier qu'il génère. Peu importe ce qu'on fait, ce qui compte c'est ce qu'on gagne! L'argent est devenu une fin en soi; la vie doit obéir à des exigences d'équilibres comptables qui prévalent sur la vie même des gens et le devenir de la planète. Les MCL, dans leur esprit et leur dynamique conduisent à se demander : « Mais qu'est-ce que la richesse? » - Qu'est-ce qui compte vraiment? Ne peut-on espérer qu'à force de chercher une réponse à ces questions la pensée collective évolue de sorte qu'à terme l'économie serve la Vraie richesse, la monnaie n'étant plus qu'un moyen mis au service de son expression? C'est le pari que nous devons gagner !